Victoria Koussa
On n'a pas arrêté de parler de la date de fermeture de la décharge de Naamé, prévue pour ce vendredi, et des solutions de substitution. Un sujet qui divise la classe politique, mais qui, en attendant, fait souffrir des villages entiers dans la région.
« J'ai peur pour mes enfants », souligne d'emblée Ada, 45 ans, employée à la pharmacie al-Naamé, en réponse à la question de savoir ce qu'elle pense d'un éventuel report de la date de fermeture de la déchetterie. Ada avait hésité quelques secondes avant de lâcher un « Ah, vous parlez de Sukleen! », un amalgame que font souvent les habitants entre la décharge et le nom inscrit sur les bennes à ordures. Car dans le village de Naamé, on ne parle pas de déchetterie, mais de la compagnie qui vient tous les jours décharger des tonnes de déchets aux abords des lieux d'habitation. « Ils ne recyclent même pas ! Ils mélangent les poubelles dans le sable avec des pelleteuses, j'ai peur que le sol n'explose à cause du gaz bloqué sous terre... » s'inquiète Charbel Yazbeck, un commerçant en téléphonie mobile de 28 ans, en pointant du doigt la zone ravagée et sursaturée, perchée au sommet d'une colline, près du monastère de Naamé.
Ce problème devait normalement être résolu dans quelques jours. Il aurait dû être discuté en Conseil des ministres jeudi dernier, mais le débat n'a pas eu lieu pour les raisons que l'on sait. Du coup, l'échéance de fermeture de la décharge devrait être encore une fois reportée, à moins qu'une solution ne soit trouvée d'ici à vendredi.
Depuis que l'accès au dépotoir sauvage de Bourj Hammoud a été condamné en 1997 et que le plan gouvernemental d'urgence de la gestion des déchets, commandé par l'ancien ministre de l'Environnement Akram Chehayeb, a été établi, la décharge de Naamé avait été ouverte mais pour une période de dix ans seulement. Sa contenance ne pouvait pas excéder plus de deux millions de tonnes. Il y en a aujourd'hui 15 millions. « Il y a deux fois moins de cheminées d'échappement des gaz que ce qu'il faudrait », ajoute Charbel, particulièrement bien informé du cas de la décharge. Ces cheminées sont nécessaires pour évacuer les gaz nocifs contenus dans le sol, pollué par les détritus. Les 15 millions de déchets infestent l'air et empoisonnent la vie des habitants de la région. « Il y a de plus en plus de rats et de mouches au village. Même les plantes, les légumes, la terre dans son ensemble, sont affectés par ce problème qui nous revient, d'une manière ou d'une autre, directement à la figure », affirme Jessica, une jeune femme de 19 ans qui se destine au métier de dentiste.
Psychose fondée ou pas ?
Une psychose règne dans le village dont les habitants font état d'une augmentation du nombre de maladies. À la moindre maladie ou blessure, les habitants paniquent et ont tendance à attribuer tous leurs maux à la décharge. Cette peur témoigne aussi de leur manque d'information face à la gestion de la déchetterie et à ses conséquences sur l'hygiène publique. « Diarrhées, bronchites, allergies : nous pensons tous que nos maux du quotidien s'expliquent par cet air pollué qui, de 21 heures à 6 heures, vient infester l'air du village à cause du vent de l'est, surtout l'été. L'odeur est nauséabonde, insupportable », raconte Nouhad, la femme du moukhtar. « Et comment pouvons-nous guérir sans air frais et sain ? C'est un cercle vicieux face auquel nous sommes impuissants et désespérés. Les cas de cancer ont augmenté », ajoute-t-elle, l'air déconcerté. La décharge est accusée, à tort ou à raison, des cancers subis par les villageois les plus fragiles, comme les jeunes. Une chose est sûre : les pharmacies du village observent de nombreux cas d'asthme, de diarrhée et d'allergie cutanée. « Un nombre anormalement élevé », ajoute Rami, un employé de la pharmacie proche de Khaldé.
Une étude de santé a été demandée par le Mouvement écologique libanais, représenté par Paul Abi Rached au World Health Organisation, mais n'a jamais été réalisée car le gouvernement libanais a refusé de payer les experts scientifiques de l'organisation, d'après le président de l'association. « Cela fait 18 ans qu'on gêne les habitants de Naamé avec ces déchets, ils ont le droit de dire "stop" ! » déclare Paul Abi Rached.
Des groupes venus de tout le Liban, à l'instar de la Campagne civile pour la fermeture de la décharge de Naamé et du Mouvement écologique libanais (Lem), se sont plusieurs fois mobilisés, comme en janvier dernier, date à laquelle était déjà prévue la fermeture de la déchetterie, pour exiger que les ordures ménagères de Beyrouth et sa banlieue soit jetées ailleurs. « Le 17 juillet, des gens de Naamé vont aussi se mobiliser, et quelques pompiers de la caserne seront à leurs côtés », annonce Michel, un jeune pompier du village âgé de 25 ans, habitué à éteindre les feux de poubelle mis par la société d'éboueurs. Selon les habitants, certains déchets sont jetés dans la décharge puis brûlés par la compagnie Sukleen, ce qui pollue l'atmosphère et dégage une odeur pestilentielle. Malgré les nombreuses manifestations de la population riveraine de la décharge, beaucoup d'acteurs importants des villages voisins gardent le silence. « Ils nous ont promis de nous donner de l'électricité et du gaz gratuits à Naamé en échange de notre "coopération". Mais la promesse n'a pas été tenue », ajoute la femme du moukhtar.
Tous, au village, espèrent la fermeture de la déchetterie, mais beaucoup ne croient pas vraiment en l'échéance du 17 juillet. « Il faut réfléchir à une vraie solution pour gérer les déchets qui viennent de tout le Liban, sans les implanter dans une zone habitée. Le but n'est pas de transférer le problème ailleurs, dans une autre ville libanaise ! Je ne veux pas que d'autres personnes vivent le même cauchemar que nous », insiste Charbel.
« Dans tous les cas, le mal est fait. Le problème est grave aujourd'hui, mais les conséquences seront encore plus importantes plus tard. Je pense que notre espérance de vie a considérablement baissé et c'est ma génération qui est touchée », conclut Michel, alarmiste, avant de monter sur son scooter pour continuer sa journée, résigné.
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