Une directive gouvernementale déchire des familles: récemment, la Sûreté générale a décidé de ne pas renouveler les titres de séjours des enfants de travailleurs immigrés nés au Liban. Beaucoup d'entre eux n'ont connu que ce pays et n'ont pas d'attaches particulières avec le pays d'origine de leurs parents.
Le Liban se livre à des expulsions de force d'enfants de travailleurs immigrés qui sont nés sur son territoire et, dans certains cas, de leurs mères, ont déclaré aujourd'hui neuf organisations non gouvernementales présentes au Liban dans un communiqué conjoint.
La décision récente de la Sûreté générale, l'agence de sécurité chargée de superviser l'entrée et le séjour des étrangers sur le sol libanais, de refuser de renouveler le permis de séjour de certaines travailleuses immigrées effectuant des tâches peu rémunérées et ayant eu des enfants au Liban, ainsi que celui de ces enfants, constitue une entrave excessive au droit de tous à une vie de famille.
Depuis mai 2014, près d'une douzaine de travailleuses immigrées, dont beaucoup résidaient depuis longtemps au Liban, ont informé des organisations de défense des droits humains que lorsqu'elles se sont rendues à la Sûreté générale pour faire renouveler leurs permis de résidence et ceux de leurs enfants, elles ont essuyé un refus. Certaines se sont entendu dire qu'elles n'étaient pas autorisées à avoir des enfants au Liban et qu'elles devaient quitter le pays dans un bref délai. Elles ont précisé que dans certains cas, ce délai n'était que de 48 heures.
« Aux termes de la nouvelle directive de la Sûreté générale, certaines familles sont en train d'être déchirées tandis que d'autres sont apparemment privées de leurs moyens d'existence simplement parce qu'elles ont eu des enfants au Liban », a déclaré un porte-parole des organisations. « Les autorités libanaises n'ont donné aucune justification de cette nouvelle politique, et devraient immédiatement abroger cette directive qui constitue une entrave au droit à une vie de famille. »
Selon le droit libanais en matière de droit de résidence, certaines catégories d'immigrants à bas salaires, en particulier les travailleuses ou travailleurs domestiques, ne sont pas autorisés à faire bénéficier leur époux(se) ou leurs enfants de leur permis de séjour. Toutefois, dans le passé, les enfants nés au Liban de parents immigrés pouvaient prétendre à un permis de séjour d'un an renouvelable jusqu'à l'âge de quatre ans, puis ils pouvaient faire une demande de permis de résidence s'ils s'inscrivaient à l'école.
Les organisations non gouvernementales ont obtenu confirmation, de la part de sources au sein de la Sûreté générale, que l'agence disposait d'une nouvelle directive concernant le renouvellement des permis de séjour des enfants nés au Liban de travailleurs immigrés à bas salaires et de leurs parents. Mais les demandes écrites adressées par ces organisations à la Sûreté générale, pour obtenir copie de la directive, sont restées jusqu'ici sans réponse. Les militants affirment que la directive a apparemment été adoptée en janvier 2014, mais qu'elle est appliquée de manière plus stricte depuis le mois de mai et a entraîné l'expulsion de certains membres des familles de travailleuses immigrées.
Dans un de ces cas, une femme originaire du Ghana a déclaré aux organisations qu'elle se trouvait séparée de son fils, âgé de 10 ans, car la Sûreté générale a refusé de renouveler le permis de séjour de ce dernier, bien qu'il était inscrit à l'école. Elle a précisé qu'elle avait renvoyé son fils tout seul au Ghana, afin de ne pas perdre son propre permis de séjour et son emploi au Liban.
Dans un autre cas, un garçon sri-lankais âgé de 13 ans, né et ayant vécu toute sa vie au Liban, ainsi que sa mère, ont reçu en juin des avis d'expulsion de la part de la Sûreté générale, alors que le garçon était inscrit à l'école. Son père, également originaire du Sri Lanka, n'a pas été expulsé du Liban.
Ce garçon, qui se trouve désormais au Sri Lanka, a déclaré aux organisations:
« À la Sûreté générale du Liban, quelqu'un a dit qu'ils n'octroyaient plus de visas de séjour aux enfants. On nous a donné deux jours seulement pour partir. J'avais un permis de séjour au Liban depuis ma naissance. Je n'ai jamais vécu au Sri Lanka. Ma mère et moi sommes maintenant au Sri Lanka. Ma mère n'a pas de travail ici et elle essaye de retourner au Liban. Mon père est toujours au Liban. Si ma mère s'en va, je devrai rester ici et vivre avec mes cousins. »
Une femme originaire de Madagascar a déclaré aux organisations: « Quand mon amie est allée à la Sûreté générale pour faire renouveler le permis de séjour de ses enfants, on lui a dit que les permis de séjour étaient destinés aux personnes qui viennent ici pour travailler, pas pour avoir des enfants. »
La plupart des migrantes qui ont fait état de ce problème ont vécu au Liban pendant plus de dix ans. Elles ont toutes eu des enfants au Liban depuis leur arrivée dans le pays pour travailler. Aucune d'elles n'a indiqué avoir eu précédemment le moindre problème pour obtenir des permis de séjour pour elles-mêmes ou pour leurs enfants.
Les migrantes affectées par la nouvelle directive ont affirmé aux organisations que leurs enfants ont très peu, voire pas du tout, de liens avec leur pays d'origine et que beaucoup ne parlent pas la langue maternelle de leurs parents, ce qui diminue grandement leurs chances d'une intégration réussie dans les écoles du pays d'origine. Beaucoup de ces migrants viennent du Bangladesh, du Sri Lanka, des Philippines, du Ghana, du Soudan du Sud et de Madagascar. Il est difficile de dire exactement combien de familles ont été affectées mais certains responsables de communautés d'immigrés ont affirmé que cette décision avait affecté beaucoup de leurs membres.
Les migrants qui restent dans le pays illégalement risquent d'être arrêtés et mis en détention pour de longues périodes avant d'être expulsés et ils sont dans l'incapacité d'avoir accès d'une manière sûre aux services publics. Les enfants migrants sont tenus d'avoir un permis de résidence pour s'inscrire dans les écoles publiques, ont souligné des militants des droits humains.
D'après les recherches effectuées par les organisations, toutes les travailleuses migrantes interrogées qui ont été affectées jusqu'à présent par la décision de la Sûreté générale semblent être des femmes considérées comme des travailleuses de catégories 3 et 4 aux termes du code du travail libanais – c'est-à-dire situées en bas de l'échelle des salaires et travaillant dans des industries comme l'assainissement, l'agriculture et la domesticité. Bien que les travailleuses étrangères de ces catégories ne soient pas autorisées à parrainer leurs maris ou leurs enfants pour qu'ils obtiennent leur propre permis de séjour, elles étaient en mesure jusqu'à une date récente de faire bénéficier de leur permis de séjour leurs enfants nés au Liban.
Des avocats spécialisés dans les droits humains ont indiqué aux organisations que ces femmes avaient la possibilité d'obtenir gratuitement une série de permis de séjour d'un an pour leurs enfants nés au Liban, jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de quatre ans. Une fois l'enfant inscrit à l'école à l'âge de quatre ans, la mère pouvait demander que son permis de séjour s'applique aussi à l'enfant, à condition qu'elle-même vive légalement au Liban et qu'elle puisse présenter les documents nécessaires prouvant l'inscription de l'enfant à l'école.
Cependant, le site internet de la Sûrété générale affirme désormais que l'autorisation de séjour d'enfants scolarisés au Liban dont les parents sont classés comme travailleurs de catégories 3 ou 4 est soumise à une décision au cas-par-cas de la Sûreté générale. Le site n'indique pas sur quelle base la décision sera prise. Cette directive, qui semble prévoir l'expulsion de travailleuses migrantes mères de famille sous prétexte qu'elles ont commencé à avoir des enfants au Liban, contrevient aux obligations internationales du Liban en matière de droits humains découlant des traités dont il est un État partie, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), la Convention internationale pour l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CEDR) et la Convention relative aux droits de l'enfant (CDE).
Les obligations du Liban aux termes de la CEDR, y compris à l'égard des étrangers vivant sur son territoire, lui imposent d'éviter « les ingérences excessives sur le droit de tous à une vie de famille. » De même, le Liban est tenu de respecter ses obligations aux termes de l'article 23 du PIDCP qui réaffirme le droit des hommes et des femmes ayant l'âge requis de se marier et de fonder une famille. La nouvelle directive et sa mise en œuvre ont pour effet une ingérence excessive dans la vie de famille, en particulier lorsqu'elles entraînent la séparation de familles résultant d'une expulsion.
Les enfants ont également le droit, dans la mesure du possible, d'être élevés par leurs parents et d'avoir une vie de famille sans ingérence illégale et excessive. La CDE impose aux États parties de « veiller à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident ... que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant. »
Dans toute procédure légale pouvant conduire à séparer des enfants de leurs parents, toutes les parties intéressées doivent avoir la possibilité de participer aux délibérations et de faire connaître leurs vues, et toute séparation doit être approuvée par une décision de justice. La CDE appelle également les pays à traiter les affaires concernant des parents ou des enfants demandant à entrer sur leur territoire dans un but de réunification familiale « dans un esprit positif, avec humanité et diligence. » Aux termes de la CDE, le Liban est tenu de protéger les droits de tous les enfants relevant de sa juridiction, « sans distinction aucune. »
Le gouvernement libanais devrait se conformer à ses obligations internationales en s'assurant que la Sûreté générale tienne compte des intérêts de la famille avant de refuser le renouvellement du permis de séjour de travailleurs migrants ou de leurs enfants, ou d'envisager leur expulsion. Le gouvernement devrait également ratifier la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, afin de protéger les droits des migrants au Liban.
« Une vie familiale est aussi importante pour les travailleurs immigrés au Liban que pour n'importe qui d'autre dans le pays », a conclu le porte-parole. « La Sûreté générale devrait abroger cette directive et protéger le droit des travailleurs migrants à une vie de famille dans ce pays. »
Organisations signataires:
• L'association Libanaise pour l'Éducation et la Formation (ALEF)
• Anti-Racism Movement (ARM) - Mouvement anti-racisme
• Association Justice Et Miséricorde (AJEM)
• Centre libanais des droits humains (CLDH)
• Human Rights Watch (HRW)
• Insan Association
• Legal Agenda
• Migrant Community Center (MCC) - Centre pour les immigrés
• Migrant Workers Task Force (MWTF) - Groupe de travail sur les travailleurs migrants
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