The Lebanese Center for Human Rights (CLDH) is a local non-profit, non-partisan Lebanese human rights organization in Beirut that was established by the Franco-Lebanese Movement SOLIDA (Support for Lebanese Detained Arbitrarily) in 2006. SOLIDA has been active since 1996 in the struggle against arbitrary detention, enforced disappearance and the impunity of those perpetrating gross human violations.

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September 29, 2011

L'Orient le jour - Jeannette Youssef : Mes parents sont morts en murmurant le nom de mon frère disparu, September 29, 2011

Par Nada MERHI

Jeannette Youssef, ses frères et sa sœur poursuivront leur quête jusqu’à ce que le sort de leur frère Milad soit enfin dévoilé.
Jeannette Youssef, ses frères et sa sœur poursuivront leur quête jusqu’à ce que le sort de leur frère Milad soit enfin dévoilé.

Le sort de milliers de Libanais disparus durant la guerre civile et la période qui l’a suivie, sous la tutelle syrienne, reste inconnu. Pour que ce dossier vieux de plus de trente ans ne reste pas occulté et relégué aux oubliettes, « L’Orient-Le Jour » relatera chaque semaine le témoignage d’un parent en quête de vérité sur le sort d’un disparu.
Milad Habib Youssef était soldat et accomplissait son devoir lorsqu’il a été enlevé le 30 août 1983, à l’âge de 18 ans, sur la route de Moucharrafiyé à Hay el-Sellom. Il venait de s’enrôler dans l’armée. Depuis sa disparition, sa famille a eu quelques informations le concernant, mais « nous n’avons jamais pu le revoir », déplore Jeannette Youssef, sa sœur, qui depuis le 11 avril 2005 observe aux côtés de nombreuses familles un sit-in permanent dans le jardin Gibran Khalil Gibran, place Riad el-Solh, jusqu’à ce que le sort des centaines de personnes disparues soit révélé.
Jeannette Youssef raconte ainsi qu’en 2008, un ancien détenu « nous a affirmé que Milad était à la prison de Palmyre ». Des années plus tôt, un ancien détenu palestinien en Syrie « nous avait dit que dans chaque nouvelle cellule où il était transféré, mon frère inscrivait sur le mur une même phrase : “30 août 1983, la journée noire” ».
Benjamin d’une famille de cinq enfants (trois garçons et deux filles), Milad Youssef prenait en charge ses parents. « Ils ont tout fait pour le retrouver et obtenir sa libération, se souvient Jeannette Youssef. Leurs efforts ont été vains. Ma mère s’est même rendue en Syrie pour demander de lui. Elle n’a pas pu le voir. » Digne dans sa tristesse et sa souffrance, elle poursuit, la voix nouée : « Jusqu’à leur mort, ils n’ont pas arrêté de le chercher. Ma mère est décédée en 2005. Elle n’avait qu’un seul souhait : revoir Milad, même le temps de quelques secondes, avant qu’elle ne quitte ce monde. Sa disparition lui a brisé le cœur. Malade, elle ne pouvait plus parler. Au cours de ses derniers jours, elle s’adressait à nous par des signes. Elle nous disait : “Lorsque mon bien-aimé rentrera, qu’il frappe à la porte du cimetière pour me dire qu’il va bien.” Après la mort de ma mère, mon père n’a pas tenu le coup longtemps. Il lui a survécu un an et demi. Sur son lit de mort, il nous a regardés un à un et nous a demandé : “Où est Milad ?” Ils sont morts tous deux en murmurant son nom. »
Dix ans après l’enlèvement de Milad, le commandement de l’armée l’a déclaré mort. « Au début, mes parents avaient refusé de l’admettre, mais ils ont fini par se résigner, pour pouvoir continuer à toucher sa pension et à bénéficier des soins médicaux au compte de l’armée, indique Jeannette Youssef. Le commandement de l’armée l’a aussi proclamé martyr. Mais mes frères, ma sœur et moi attendons toujours de connaître la vérité. Nous espérons. Nous ne baisserons pas les bras. La persévérance à défendre un droit sera toujours récompensée. Nous finirons par obtenir gain de cause. »
Jeannette Youssef se lève et retire le portrait de son frère d’un sac en nylon où sont rangées les photos ternies par les longues années d’attente et d’espérance de plusieurs dizaines de personnes portées disparues ou détenues dans les prisons syriennes. Elle le caresse tendrement, l’embrasse et se demande : « Quel crime a-t-il commis ? Milad s’est enrôlé dans l’armée pour défendre son pays. Mais son pays n’a pas su le défendre. Regardez la manière dont il a été récompensé ! S’il avait commis un crime, il aurait fini de purger sa peine ! Il a disparu depuis bientôt vingt-huit ans. Que Dieu puisse émouvoir le cœur de nos responsables et qu’ils se décident enfin à résoudre définitivement ce dossier ! Nos détenus ont assez souffert. Dans tous les pays du monde, les gouvernements se mobilisent pour obtenir la libération de leurs otages ou prisonniers. Pourquoi notre gouvernement n’agit-il pas ? Plusieurs de nos responsables ont gardé de bons termes avec la Syrie, qu’ils réclament une réponse à ce dossier. Les familles ont le droit de connaître la vérité. Nous ne pouvons plus continuer à vivre dans le doute et l’incertitude. Ce dossier est humanitaire par excellence et doit par conséquent constituer une priorité, d’autant que certains détenus seraient encore vivants. »
« Nous ne baisserons pas les bras, insiste encore d’une voix déterminée Jeannette Youssef, après un bref moment de silence. Mes parents sont morts et nous poursuivrons la quête. C’est notre frère. Nous ne pouvons pas le lâcher. Nous devons connaître la vérité pour que nous ayons le cœur net et pour que mes parents puissent enfin reposer en paix. Récemment, j’ai rêvé de ma mère. Elle me disait : “Je n’ai pas vu Milad, continuez à le chercher.” Même au fond de sa tombe, elle n’est pas en paix ! »


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